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Stillness in the Fall – Beyrouth

‘Stillness in the Fall’. Un moment unique. Une énergie folle. Des émotions vives posées là comme le bruit ultime du silence avant l’explosion, de l’objet qui se Tait tout au long de sa chute. 

‘Stillness in the Fall’ est une exposition du collectif de photographes libanais rassemblés à l’initiative de l’artiste Rima Maroun, présentée à la Fabrique Pola du 1er au 23 Octobre, dans le cadre du FAB Festival 2021.

Fruit d’une étroite collaboration avec les directeurs du lieu de création Hammana Artist House au Liban, le focus de la 6ème Edition de ce festival qui prend petit à petit sa place dans le paysage européen des festivals d’automne, est consacré à la création contemporaine libanaise

Entre arts visuels, installations in situ, performances, danse et musique, le souhait du FAB est de faire partager au public la vitalité et la richesse de la création libanaise. 

J’ai eu pour ma part la chance de rencontrer et d’interviewer Roger Mokbel, l’un des douze photographes du collectif. J’ai vécu un moment hors du temps, chargé en histoires et en émotions. Un moment que l’on ne peut vivre que dans le partage de ce genre d’expositions. 

 

 

Bonjour Roger, peux-tu nous parler du Collectif de photographes à l’origine de l’exposition ‘Stillness in the Fall’ ? 

 

Nous sommes douze photographes au Liban. Très spontanément, il y a à peu près deux ans, nous avons été contactés par l’une de ces douze personnes (Ndlr Rima Maroun). Elle avait déjà fait l’expérience du collectif dans d’autres disciplines, et avait envie de faire la même chose avec la photographie. 

Nous devions nous voir pour la première fois le 17 Octobre 2019, le premier soir de la révolution au Liban. Nous avons donc dû annuler cette première rencontre. Nous étions tous engagés personnellement dans la révolution et avons donc laissé tomber l’idée pendant deux/trois mois avant de prendre la décision de se revoir.  

Les choses n’allaient pas en s’améliorant, nous ressentions très clairement le besoin urgent de nous revoir. Les choses s’aggravaient même. La révolution n’a fait que précipiter la crise économique. Le souci économique était bien entendu déjà là, la révolution a révélé à quel point la situation n’était pas saine. Le pays est entré en bankrupt à ce moment-là. 

Résultat, chute libre de la monnaie locale, divisée par dix en termes de valeur. 

Puis le Covid a suivi, en arrêtant sur son passage tout mouvement collectif de la révolution. Et enfin eut lieu l’explosion à Beyrouth. 

Ces trois évènements ont donc marqué ces deux dernières années pour toutes personnes vivant au Liban. Et pour nous, en tant qu’artistes, cela se reflète dans nos travaux. 

Le Collectif a permis l’entraide. Lors de nos rencontres, nous parlions des soucis rencontrés, des blocages qu’il nous arrivait d’avoir sur le projet… Nous avons passé beaucoup de weekends à faire de la revue de projet. 

 

 

Quelques mots sur l’exposition ? 

 

C’est via l’intermédiaire de Rima Maroun, la fondatrice du Collectif Kahraba qui gère aujourd’hui Hammana Artist House, que nous exposons durant le FAB Festival du 1er au 23 Octobre. Le FAB a entendu parler de nous via Kahraba et Hammana, c’est avec grand plaisir que nous avons accepté l’invitation. 

C’est la première fois que tous nos travaux se retrouvent réunis. Le fil conducteur c’est le travail sur le Liban durant ces deux dernières années, d’où le titre ‘Stillness in the Fall’, titre qui renvoie à ce moment durant lequel nous sommes en chute libre et où l’on retient son souffle juste avant l’impact. C’est la sensation que nous avons au Liban. A chaque moment on se dit, ça y est on arrive vers le fond, il y a la grosse explosion qui va arriver … et puis on découvre que ce n’est pas le cas et que le chemin est long et qu’il y a encore d’autres choses qui se rajoutent. 

C’est comme si on mettait en pause (Ndlr ‘Stillness’ = immobilité)  La photo sert à ça. Prendre un cliché, la regarder et essayer de comprendre ce qui s’est passé. C’est un projet qui parle beaucoup de ce besoin de prendre des photos pour comprendre la réalité. 

 

 

Les Photographes 

 

Ieva Saudargaité Douaihi   – ‘Les Dernières Graines’

 

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Ieva est architecte. Elle s’est intéressée à tout ce qui est urbanisation. Ces images sont vraiment des prises qui ont été repérées aléatoirement aux coins des rues de Beyrouth. Cette urbanisation un peu chaotique de la ville a réduit les espaces verts à des arbres esseulés, qui survivent. Ce projet, au fil du temps, a pris une autre tournure, car la ville est en train de se vider. Il y a une grosse vague d’immigration depuis quelques temps. 

Vague dont je fais d’ailleurs partie, car je suis parti vivre en Afrique du Sud il y a huit mois alors que j’y vivais depuis six ans et n’avait pas l’intention de le quitter. 

Son projet s’appelle ‘Les dernières graines’. Elle fait le parallèle avec ce mouvement massif, tous ces départs, comme si les derniers éléments à rester seront ces arbres, les derniers survivants. 

 

Paul Gorra

 

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Paul est professeur de photos, il est aussi le photographe le plus assidu du groupe. C’est quelqu’un qui est tout le temps en train de prendre des clichés. Son travail c’est un peu de l’archivage de l’évolution des choses au Liban. 

Il faut savoir qu’au Liban les choses vont très vite. Un jour vous voyez un espace vert, le lendemain c’est un gros trou et le surlendemain il y a un immeuble qui pousse. 

Ce qu’il partage avec nous dans cette série, ce sont des émotions qu’il a eu dans les coins de rue à Beyrouth, ce sont des prises post explosion. On voit les échafaudages de rénovation, on voit les scènes de destruction. 

 

 

Manu Ferneini – ‘Le Naufrage’, 2020

 

 

C’est la plus jeune d’entre nous. Elle a choisi des photos un peu intimistes des gens qu’elle avait rencontrés le lendemain de l’explosion. 

Ces deux clichés sont les mêmes. C’est ce vieux monsieur qui se retrouve dans sa maison qui a été endommagé. Il faut s’imaginer la situation. Il doit réparer sa maison, mais soit l’argent à la banque ne peut pas être touché, soit il ne vaut plus rien. Les gens se sont retrouvés coincés, incapables de réagir. 

 

 

Omar Gabriel – ‘Quatre murs’

 

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‘Self Portrait’

 

Omar a voulu rentrer dans un espace plus personnel, en contraste avec la ville. Pour lui la ville n’était pas un endroit complètement libre, où il pouvait s’exprimer pleinement. Naturellement il a créé une sorte de bulle au sein de son appartement entouré de ses amis et amants. 

Il explique que l’on a beau essayer de se protéger de l’extérieur, on ne peut pas. Les événements sont tellement tragiques à l’extérieur qu’ils nous rattrapent dans notre quotidien, dans les discussions, dans les humeurs des gens. 

 

 

‘My Heart is a Room’. Beirut, 2019.

 

La ville était présente dans nos corps et nos âmes. Omar Gabriel

 

 

Laura Menassa – ‘En quête d’identité’, 2016-2021

 

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Laura est franco-libanaise, elle est née à Paris, elle y a vécu très longtemps. Récemment, à l’inverse des libanais, poussée par le besoin de quête d’identité, elle a décidé d’aller s’installer au Liban. Elle disait qu’en France elle était ‘la Libanaise’, et au Liban ‘la Française’. 

Elle s’est retrouvé à faire des autoportraits, soit dans sa propre maison, soit dans celle de ses amis qui l’ont accueilli à son arrivée au Liban. 

On sent le malaise dans ses photos, le malaise de quelqu’un qui tente de s’adapter, de convenir. Ce qui se passe à l’extérieur ne fait qu’exacerber ces questionnements. 

Son installation au Liban nourrit sa réflexion. 

 

 

Tarek Haddad – ‘Still Life’

 

 

Photo Omar Gabriel

 

Tarek est photographe, il a décidé de faire l’École de photographie d’Arles (Ndlr ENSP Arles) et vit en ce moment là bas. 

Il a commencé cette série durant le confinement au Liban, avant de venir s’installer en France. C’est venu de ce temps qui est venu se dilater durant l’enfermement chez soi. Il traite de cette ligne très fine d’avoir le luxe d’avoir le temps pour soi et le temps trop long pour soi qui devient morbide, générateur d’anxiété et de crises existentielles. 

C’est pourquoi il s’oriente vers des paysages, soit de nature morte, soit très végétatifs où il y a un état quelque part en suspens. 

 

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And in a blink of an eye, human activity was put on hold.
We evacuated the outside world from our physical presence.
We were left to ourselves, shrouded in stillness and idleness.
Questions about our fleeting existence started to arise.
They became inescapable.

 

Absence and time.

Stillness.

A notion suspended between tranquillity and morbidity
A pendulum now just hanging in the middle, itself also idle.

 

Hold, evacuate, shroud, contemplate, die

And then wait.

 

Tarek Haddad

 

 

Walid Nehme – ‘Désincarnation’, 2020

 

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Self Portrait (assisted by Myriam Boulos)

 

Walid traite de la désorientation spatiale d’une façon très contemporaine. Il fixe cette chaise, c’est lui, c’est un autoportrait de lui-même essayant de véhiculer les émotions, ces questionnements par lesquels il passe. 

Cette désorientation est quelque chose dont tous les libanais pourront parler. C’est comme quelqu’un qui prend des baffes à tout va et qui n’a pas le temps de récupérer entre temps. 

On a cette impression quand on est au Liban. La succession des événements fait que l’on se demande quand tout va s’arrêter. A chaque fois cela nous déstabilise et nous renvoie dans un état d’insécurité. 

 

 

Betty Ketchedjian – ‘Hors de Contrôle’

 

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Je trouve que c’est l’une des représentations les plus symboliques du titre ‘Stillness in the Fall’, ce moment en suspens juste avant la catastrophe. 

 

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(Ndlr. Lors de l’exposition la photo de Betty est présentée sous format vidéo accompagné d’un bruit d’assiettes qui se brisent en fond sonore)

 

 

Myriam Boulos

 

Myriam vient juste d’être nommée à l’agence Magnum. C’est la première femme arabe qui est nommée à cette agence. Elle fait un travail photographique depuis très longtemps, à la fois de self expression et documentaire. Elle en a profité pour construire une série qui va depuis la révolution. Elle prend souvent des photos de nuit et utilise souvent le flash. Le rendu est très frontal, on sent l’anxiété, la tension dans ses images. 

(Ndlr Travail en Format Vidéo à découvrir directement à l’exposition)

 

Roger Mokbel 

 

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Dans mon cas, j’étais très engagé dans la révolution libanaise, je participais à bloquer les routes etc…mais pendant presque un mois je n’arrivais pas à prendre de photos. Je n’avais pas envie de prendre en photo des gens en état d’euphorie. J’ai dû faire une longue introspection pour essayer de comprendre pourquoi je n’arrivais pas à prendre de photos alors que je voyais mes collègues photographes qui étaient ravis. Généralement ces événements-là sont très photogéniques, très ‘générateurs d’images’. J’ai fini par réaliser que je suis passé par un autre état d’âme, j’étais en rupture amoureuse. Je mettais cette euphorie de la révolution en parallèle avec l’euphorie du début d’une relation. Les mouvements collectifs de révolutions sont assez semblables à ceux d’une relation à deux. Ces moments très hauts en émotions au début, après quoi les choses se calment … Il faut réfléchir à trouver quelque chose à long terme pour que cette nouvelle forme de collaboration survive. Et puis, parfois, éventuellement il y a la rupture. 

Moi j’étais en phase de rupture, alors qu’à l’extérieur je voyais les gens qui vivaient les prémisses de quelque chose de nouveau. J’ai plutôt recherché des cadres où les gens étaient obligés de fuir … parce qu’il y avait des gaz lacrymogènes, parce qu’ils avaient besoin de répit … Je revenais à 4h du matin sur des places qui étaient bondées la journée, et vides la nuit. Comme si l’euphorie était redescendue. 

Mais il y a des hauts et des bas dans ce projet, cela relate les hauts et les bas auxquels j’étais confronté.

 


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Elsie Haddad   

 

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Photo Lara Tabet

 

Elsie fait beaucoup de travail documentaire. Elle s’est intéressée aux panneaux publicitaires. Avant la crise financière, le Liban était un pays à l’économie néolibérale, complètement orienté vers la consommation. C’est un tout petit pays qui ne produit presque rien, on importe tout, et donc les panneaux publicitaires étaient à la limite de la pollution visuelle. Sauf qu’avec la crise financière, il n’y a plus rien à vendre. Les panneaux publicitaires étaient devenus progressivement vides. Les gens n’achètent plus, les entreprises n’investissent plus. 

Elsie traite de cette période par laquelle passe le Liban sous l’angle des panneaux publicitaires, qui se sont petit à petit tus.  

 


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Rima Maroun

 

Rima a eu du mal à comprendre comment quelque chose, une explosion qui en une fraction de secondes va changer autant la réalité, c’est-à-dire faire basculer une ville qui était florissante et vivante vers un champ de ruines que les gens ont été obligés de fuir. Elle a ressenti le besoin de prendre son appareil photo la première et deuxième nuit, avant que l’on commence à nettoyer la ville. 

(Ndlr Travail en Format Vidéo à découvrir directement à l’exposition)

 

 

J’ai fait la même chose de mon côté. Presque tout le monde était insomniaque pendant cette période-là tellement nos cerveaux avaient du mal à traiter les informations de la veille. J’avais envie d’être dehors plutôt que d’être dans ma chambre. 

 

A chaque fois que je vois des images de ces moments-là j’ai envie de pleurer. Le sentiment d’injustice l’emporte. C’est l’Etat libanais lui-même qui est responsable de l’explosion, alors vers qui se tourner pour se sentir protégé et en sécurité ?

Cela fait quatorze mois que l’explosion a eu lieu, mais on a toujours le sentiment qu’elle est restée là. On en a pas vraiment parlé, on n’a rien pu exorciser. 

 

 

 

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Photo Laura Menassa

 

 

Thank you for sharing so much Roger, thanks to the twelve of you for the beauty and power that lies within each and everyone of all your works.

With love from Lou Lou, 

Alexis

xxx

 

 


 

 

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